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Stonehenge - CD Créalter

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Il y eut à Toulouse et il y a bien longtemps un groupe aussi authentiquement progressif que cultissime, et dont la trajectoire fugace mais étincelante eut le temps de frôler celle du chroniqueur, dans une existence antérieure et non moins étudiante.

D’abord la musique. Longtemps, la seule trace du passage de Stonehenge de ce côté-ci de l’univers consistait en un enregistrement de près d’une demi-heure de musique en continu. On raconte qu’une poignée d’initiés veille encore jalousement sur les rares cassettes audio distribuées à l’époque sous leur jaquette originale, et je peux le confirmer. Ça commence comme l’appel d’une créature des flots et du vent (Stéphane Morel, flûte) qui s’approche à peine, puis repart, avec dans son sillage une deuxième séquence rendant hommage au « bœuf celtique » clavier/guitare original entre Olivier Roy et Sébastien Siozade, sur lequel s’appuie une bonne partie de l’œuvre de Stonehenge. Cela s’avance comme une procession des temps anciens jusqu’au bord d’une falaise, puis la rythmique monte comme du fond d’un highland, orchestrée par les fûts de Laurent Fompudie et la basse que Patrick Godeau fait palpiter avec un art consommé qui n’appartient qu’aux authentiques guitar-heroes reconvertis. Les nappes de clavier gonflent les voiles de l’embarcation toute entière, et c’est l’envol, organique et construit, éclairé de solos de guitare et de violon (la patte immanquable de Paddy Lemercier). Les instruments dansent de porte en porte le long des routes qu’ils s’ouvrent dans le ciel. Vers le milieu de la face on touche subrepticement la surface de l’eau pour une transition toute en couleurs et textures, et ça repart jusqu’à la fin, étirée autant qu’il se doit. Les références sont évidentes, assumées, et à vue de nez toutes antérieures à 1974. On est au pays des premiers Pink Floyd et Genesis (l’improbable accord ponctuant la longue intro de Firth of Fifth, sur l’album Selling England by the Pound, semble même reconstitué note à note) s’acoquinant avec succès à Jimmy Page et John Bonham. Le tout revisité par des types revenus des tréfonds des pubs de Galway via le Festival Interceltique de Lorient des bonnes années. Ce long morceau, rappelons-le, est issu d’un bœuf des origines ayant ponctué la première rencontre du noyau dur du groupe. Tout ça ayant par la suite été malaxé, étiré, repensé, allongé, recoupé au gré de deux années de concerts à Toulouse et alentour, l’alchimie de cette « version courte » de 26 minutes est homogène, les enchaînements naturels au point qu’on ne les remarque pas, comme doivent l’être les bons enchaînements, et au total la musique de Stonehenge apparaît toujours aussi ambitieuse, épique, claire, efficace et pour tout dire intemporelle, comme doit l’être le bon rock progressif.

Et maintenant la biographie. Tout y est : la géométrie variable au hasard des rencontres de musiciens errants riches de leurs seuls instruments, les délais pour cause de quête mystique des uns, d’abus de psychotropes des autres, les happenings étincelants entre pureté des cimes pyrénéennes et repaires toulousains undergrounds et regrettés, avant la dissolution finale. Une fois dûment signalée l’émission Deux ou trois feuilles animée par le guitariste et le bassiste du groupe, autour de l’année 1993, sur les ondes de Canal Sud, on ne donnera pas ici plus de précisions historiques. Tout est raconté mieux qu’on ne saurait le faire, par un des acteurs de l’aventure, dans le livret accompagnant la réédition en CD de la pièce éponyme. En effet, prenant acte de la dissolution, en 1995, de ce groupe qui s’était entêté à jouer de la musique comme on le faisait vingt ans auparavant, son bassiste Patrick Godeau attendit patiemment quinze années supplémentaires le moment où plus personne n’achèterait de disque pour mettre enfin à la disposition des foules désabusées le CD retraçant l’histoire du groupe. Outre le seul enregistrement en studio, on y trouve des bandes de répétition dûment toilettées intitulées Les ivresses mortes, 2L3 et Les clowns exsangues. Ce sont là plus que des esquisses ou des fragments de remplissage : on retrouve dans ces morceaux déjà aboutis le goût de Stonehenge pour la navigation au long cours (les plages durent respectivement dix-huit, dix-neuf et dix minutes), ainsi que le juste et fluide équilibre entre le souci de construction et les plages de liberté instrumentale la plus complète.
L’écoute du CD peut donner le regret que l’épopée du groupe (1991 – 1995, en comptant au plus large), ne se soit pas prolongée un peu. Elle peut aussi procurer beaucoup de plaisir, et ce plaisir est à votre disposition sur le site de Patrick Godeau. Cliquez de bon cœur, vous pourrez y télécharger gratuitement et légalement le morceau Stonehenge, mais aussi et surtout vous porter acquéreur du CD à prix libre via la structure associative Créalter.
Et avant de partir ne manquez pas la chronique Musique en aveugle, emblématique du genre de concerts qu’on savait encore commettre et raconter, à Toulouse, en 1992.

Philippe Vidalphvl@free.fr