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Jazz à Luz 2015

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On ne le dira jamais assez mais oui Jazz à Luz est sans doute le meilleur festival de musique au monde ! Rien que çà…. Pourtant malgré tout l’amour que l’on porte à ce dernier, seule une poignée d’irréductibles aventureux se réunissent chaque année pour écouter une musique libre, conviviale, festive et aventureuse…. Une musique en dehors de tout carcan, de tout standard, une musique improvisée, enjouée et foncièrement moderne. Du jazz donc si l’on en croit le titre du festival mais pas que et pour résumer on dira donc que Jazz à Luz est un subtil mélange de tout ce qui ne se fait pas ailleurs.

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Pour son 25éme anniversaire, les organisateurs avait prévu de faire les choses en grand à commencer par décentraliser les différentes scènes à travers les vallées des Hautes-Pyrénées tout en gardant ses basiques comme la soirée inaugurale mélange de concerts, de discours règlementaires, d’apéros et de rencontres/retrouvailles. Direction le centre CEVEO de Luz, centre de vacances d’EDF, amas de bois et de verre au milieu de la verdure. C’est dans ce cadre vacancier et bucolique que c’est produit le duo Donkey Monkey, soit Yuko Oshima (Batterie, voix, assemblages électroniques) et Eve Risser (Piano, voix). Pluridisciplinaire, Donkey Monkey alterna compositions noises limite bruitistes mâtinées de free jazz rehaussées d’une touche pop rose bonbon sucré. C’est d’ailleurs tout le charme de ce duo d’alterner une écriture musicale exigeante (hommage à Carla Bley) tout en la noyant dans un carcan pop bricolo parfois enfantine. Difficile donc de ne pas tomber amoureux de ce duo et surtout après avoir écouté leur tube : Voiture (A prononcer avec l’accent alsacien). Après l’écoute du duo et les discours des différents partenaires, nous primes place au avant-poste de l’apéro avant de jeter une oreille distraite à la Fanfare Du Fond Du Bus que l’on retrouvera un peu plus tard dans la soirée.

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A peine le concert-apéro d’inauguration fini, direction le verger pour un point restauration avant d’entendre et de voir le premier trio du festival soit : Sylvie Courvoisier (Piano), Julian Sartorius (Batterie) et Christian Weber (Contrebasse). Un trio helvète inconnu pour ma part mais totalement renversant. Très jazz dans l’esprit, ce trio subjuguât par sa maitrise, sa liberté de ton et son sens inné du swing. Un choc tant le dialogue entre les trois instruments fut un parfait équilibre entre improvisations individuelles et collectives sans jamais égarer la mélodie parfois cachée souvent sublimée. Un trio à découvrir d’urgence sur scène pour mieux capter les pulsations des instruments et les jeux des trois musiciens très divers à l’image de leurs looks sur scènes. (Jazz pour la pianiste, rock pour le contrebassiste et hip-hop pour le batteur).

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Alors qu’on pensait déjà avoir atteint un certain summum pour cette première soirée, le quintet parisien Cabaret Contemporain enfonça un peu plus le clou. Armé de son beat binaire, ce groupe développe une musique hybride faite de techno et de mélodies répétitives à base d’instruments classiques (guitare, double contrebasses, piano, batterie) rehaussés d’effets électroniques. Le tout donne un mélange terriblement accrocheur qui évolue par de subtiles touches ici des cordes de contrebasse claquées, là de petites mélodies pianistiques plus loin quelques notes de guitares électriques. Seul bémol à cet ensemble accrocheur et prometteur, un son de basses trop mis en avant pour cette soirée qui avait le don parfois d’écraser les restes des instruments. Dommage….

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Bien que nos petits yeux réclamèrent sommeil et que certains noyèrent leurs illusions dans le tanin local, nous partîmes pour le troisième et dernier concert de la soirée dans la bien nommée salle des voutes. Imaginé un petit prés-carré fait de voutes et vous aurez une bonne idée de la salle, petite mais propice à toutes sortes d’expérimentations comme l’a si bien prouvé le duo Cantenac Dagar : Stéphane Barascud (Banjo, pédales) et Ayméric Hainaux (Human Beatbox, cloches, lecteur de cassettes). Un duo un peu fou qui finit de nous achever par un morceau de trance fait de banjo saturé, de voix feutrée mises en boucle le tout porté par un assemblage de cloches frappées ou jetées. Une expérience sonore à défaut de pouvoir coller d’autres mots en la matière…


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Après une courte nuit, le second jour s’annonça un brin grisâtre. Lourds nuages chagrins tout autour de la vallée du Pays de Toys et une météo guère réjouissante pour l’ensemble de la journée. Un épi phénomène si le festival n’avait pas décidé de migrer à la station de Luz Ardiden à 1732 mètres d’altitude. Une station qui pour le coup fut complétement noyée dans le brouillard dont il fut impossible d’en voir toute l’étendue car nous pouvions à peine voir à plus de 10 mètres. Une petite gêne pour les circassiens qui durent composer avec cet épais manteau chargé de mystère. Ici un fil tendu entre deux monstrueux tractopelles, plus loin un oud électrisé perché sur une cabine électrique de remontées mécaniques et une barre suspendue dans les airs, en suivant un télésiège investie par une fée rouge acrobate et pour finir quelques notes d’accordéon perdues dans l’ombre grisâtre. Décor finalement idéal pour ces œuvres acrobatiques et poétiques.

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Après un déjeuner baigné dans une ambiance laiteuse et bercé par l’orgue de barbarie et la voix de Sylvaine Blanquart, le clou du spectacle devait nous emmener à 2135 mètres d’altitude en haut des pistes, voir, écouter et admirer l’incroyable Denis Lavant. Mais avant cela nous dûmes patienter pour pouvoir prendre notre carrosse montagnard. Fort commode en hiver mais passablement exigent en termes de sécurité en été. Et oui les télésièges n’en firent qu’à leurs têtes, passablement mécontents d’être dérangés durant leurs hibernations estivales.
Mais qu’importe car au final la surprise fut de taille ! Juste avant d’arriver au sommet, le soleil prit sa revanche et nous éblouis par sa magnificence. Du coup à l’arrivée, nous fumes comme sur une ile déserte entourée par une mer de nuages, une mer calme et apaisée attendant patiemment son conteur et ses deux musiciens (Laurent Paris : percussions et Camille Secheppet : saxophone) pour une odyssée à travers l’œuvre de Samuel Taylor Coleridge et de son texte : Le Dit Du Vieux Marin. On ne pouvait donc rêver de meilleur cadre, de meilleurs artistes pour illustrer ce texte si exigent, si magnifique. Comme à son accoutumé Denis Lavant fut magistral donnant corps et âmes à ces mots, à ces marins, ce bateau, ces icebergs énormes brassées par des nappes de brouillards donnant à l’ensemble une idéal illustration physique et sonore du texte. Malheureusement le soleil à la verticale, l’absence d’ombre aux alentours eurent raison de notre attention trop souvent occupée à nous protéger des UV et à appliquer à la lettre le plan canicule. Dommage car cette création portée par ses trois artistes demeurera comme l’un des grands temps fort de cette édition.

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Après une petite descente de 400 mètres de dénivelé en marché forcée, direction le grand chapiteau de Luz pour le début de soirée avec l’Ensemble UN. Vingt musiciens sur scène comme autant de possibilités et de fantasmes associés pour au final une grosse déception. On attendait beaucoup de cette formation de par son nombre, de sa diversité d’instruments mais finalement l’ensemble des compositions s’avèrent assez minimalistes portées par de petites touches toujours bien faites et bien senties mais déjà entendu dans des formations bien plus petites. On retiendra tout de même la prestation de Laurie Batista à la voix et les deux percussionnistes Didier Lasserre et Mathias Pontévia.

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Après un copieux repas, nous regagnâmes nos places pour voir le trio Lazanchis. Trio composé par l’éthiopien Méssèlè Asmamaw (Krar, voix), le toulousain Fabien Duscombs (batterie) et le hollandais Jeroen Visser (orgue farfisa et saxophone). Un trio international porté aussi bien par le rock que par le groove éthiopien. Une formule accrocheuse, dansante mais finalement par si originale qu’on pourrait le pensait de prime à bord. Est-ce dû à l’overdose générale, au trop plein de groupes reprenant les bases des musiques éthiopiques ou à la formule un poil trop lissée du trio, toujours est-il que ce concert nous apporta son lot d’exotisme mais la découverte et l’aventure en moins… A noter toute de même l’incroyable prestation de Jeroen Visser tout aussi impressionnant avec son saxophone que derrière son clavier. Un artiste que l’on aimerait grandement revoir mais sous un autre angle….

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Pour finir cette soirée dansante, ce fut la fanfare roumaine Les Fantastics qui pris le relais finissant d’achever certains petits pieds. Mais là encore comme précédemment le cœur et les oreilles ne prirent gout à ce gloubiboulga fait de cuivres, des chansons traditionnelles roumaines et de reprises de standards pop/rock. En la matière et sans l’ombre d’un doute, mon cœur reste et restera à la Fanfare Ciocarlia….


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Troisième jour de festival et seconde transhumance cette fois-ci rendez-vous à Barèges pour un premier concert aux aurores (11h) en compagnie de Jean-Luc Guionnet (Saxophone). Aux aurores donc car notre flemme dominicale eut bien raison de nous et du concert. En revanche nous ne fîmes pas l’impasse sur la belle balade musicale que nous avez contacté les organisateurs. Partant de Barèges, allant vers Sers pour finir vers Viey…. Vous ne connaissez pas tous ces noms ? Moi non plus ! Conglomérats de petits et charmants villages ou se nichèrent spectacles de cirque, pauses musicales ou les deux combinés. Mention spéciale au concert qui se déroula dans une chapelle romaine ou deux musiciens masqués (car cachés dernière l’autel de l’église) nous délivrèrent une transe hypnotique, sorte d’Animal Collective roots qui nous transporta littéralement à tel point que nous faillîmes louper le final de la ballade. A revoir de toute urgence !!!

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Après nous avoir dégourdis nos jambes, surpris villageois et randonneurs solitaires, nous revîmes sur nos pas à Luz Saint Sauveur pour l’habituel concert au Bar du Centre. Toujours aussi exigu et toujours aussi plein… Impossible dans ces conditions de profiter pleinement du duo Julo formé de Laurie Batista à la voix et de Juliette Lacroix au violoncelle. Un gros regret car les quelques compositions entendues méritèrent un meilleur cadre et une meilleure acoustique pour ce duo qui semble bien prometteur.

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En soirée, nous commençâmes par TOC. Ne vous attardez pas trop sur le nom du groupe ni sur les jeux de mots associés car ce power trio emmené par Ivann Cruz (guitare), Peter Orins (batterie) et Jérémie Ternoy (Fender Rhodes) a eu de quoi nous surprendre ! Imaginez un morceau de cinquante minutes non-stop et mettez autant d’ambiances que peut produire leurs instruments foncièrement électriques et électrisés. Si toutes les parties ne furent pas ma tasse de thé, force est d’admettre le grand talent et la grande cohérence de ce trio pouvant alternée grandes échappées post-rock ou élans purement rock avant de se poser et de nous entrainer vers des moments plus contemplatifs. Une sorte de montagne russe musicale avec grand huit et looping en tous sens !

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Second concert et seconde ambiance pour le concert du groupe Hildgard Lernt Fliegen. Second groupe helvétique composé de saxophones, tronçonnes, tubas, percussions, clarinette, contrebasse et surtout de la voix de son leader Andreas Schaerer. Sacré personne que cet Andreas capable de toutes les jongleries vocales, caméléon du micro aussi à l’aise en crooner façon comédies musicales des années trente qu’en human beatbox façon Michael Winslow (oui l’acteur de Police Academy). Un grand écart assumé et porté par un humour toutes épreuves dont il est impossible de ne pas résister. Malgré tout un doute subsiste passé l’ouragan Andreas et ce concert galvanisant… Qu’en est-il de l’habillage musical ? Car si nous fumes joyeusement porté par les grandes aptitudes vocales du leader, nous en oubliâmes presque qu’il n’était point tout seul sur scène…. C’est sans doute là que le bât blesse car finalement on ne retient pas grand-chose des compositions musicales malgré des qualités que l’on a pu discerner ici ou là. A l’avenir on aimerait bien revoir le groupe mais sans ses vocalises, sans son côté stand-up, juste pour sa musique….


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Quatrième et dernier jour de festival. Le temps pour nous de refaire nos valises, temps pour certains de démonter leurs tentes et de bonder les voitures en vue d’un proche départ. Mais avant cela direction l’église de Luz St Sauveur. Décidément cette année, notre quête musicale s’est fortement accompagnée de lieux saints ou sacrés. Drôle de dualisme entre musiques improvisées, libre, presque païennes et ses lieux spirituels ou les vœux de silence et recueillement sont si souvent de mise. En cette matinée pourtant point de silence dans l’église des Templiers mais un duo radical composé de Thomas Bonvalet déjà écouté en solo dans l’Ocelle Mare et Jean-Luc Guionnet à l’orgue. Un duo inédit mais un peu étrange dans sa configuration scénique… Tandis que Thomas jouait tout devant juste à gauche de l’autel, Jean-Luc lui joua au milieu droite de l’église avec l’impossibilité visuelle pour le public de suivre les deux musiciens en même temps. Du coup, on ne put apprécier pleinement le jeu énergique à l’orgue et sa gestion des galets (permettant de saturer ou pas certaines notes) et le jeu tout en larsens de Thomas. Un regret car cette musique improvisée et exigeante aurait pu être plus appréciée en ayant les visuels des jeux des deux interprètes.
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En poursuivant notre dernière journée, nous écoutâmes d’une oreille distraite le quatuor Azulenca mélange de musique flamenca et jazz pour revenir au basique du festival dans ce cœur qui nous a fait tant vibré, dans cette petite salle de la maison de la vallée trop petite, pas climatisée mais terriblement attachante. C’est ici et nulle part ailleurs que nous avons écouté nos premiers concerts matinaux à demi-endormis, que nous avons vu l’incroyable improvisation entre Collignon et Minvielle et qu’en ce jour nous avons découvert l’américain Ken Vandermark (saxophones, clarinette). Un solo donc de plus d’une heure avec pour chaque pièce, chaque composition un instrument dédié (saxophone, clarinette, saxophone basse). Toujours dans le même ordre mais avec une multitude de variances passant des premières pièces (dont l’une dédiée à Chris Marker) très free, très bruitiste très orientées dans la démonstration aux pièces plus écrites ou brides de mélodies firent leurs apparitions ici ou là. C’est justement vers ces dernières compositions que mon cœur musical balança. Séduit et admiratif en contrastant que malgré l’incroyable propension de l’artiste à sortir sonorités saturées, ce dernier pouvait également se montrer moins démonstratif, plus mélodique mais toujours aussi intransigeant et aventureux.

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Dernière soirée, dernier concert et en secret pleins d’espoirs auditifs pour ce projet un peu fou : Reprendre la légendaire pièce IN C de Terry Riley par l’Ensemble F.M soit seize musiciens et autant d’instruments appartenant au registre du jazz mis ici au service de la musique minimaliste américaine. Le mélange semblait détonnant mais une autre réussite en ce début d’année, le projet de l’Africa Express (groupe malien repéré par Damon Albarn) nous avez déjà montré qu’en la matière rien n’était impossible et que la pièce d’une modernité encore patente pouvait s’adapter à tout format et à toute forme de musicalité… En effet l’Ensemble F.M ne nous démontra pas le contraire, nous emportant pendant plus d’une heure dans une trance collective, sensorielle, débordante de joie, de liberté malgré une complexité et une exigence incroyable qui sur scène prend toute sa signification. Au final, ce fut incontestablement le meilleur concert de ce festival. Une claque comme rarement nous en avons eu et que trop rarement nous pourrons voir. Du coup nous ne pouvons que saluer le courage et l’exigence de Jean-Pierre Layrac pour ses choix artistiques au cours de ses vingt-cinq années, la douce folie de Claire Dabos (Responsable de Freddy Morezon Production) initiatrice du projet ainsi que l’inflexibilité de Christine Wodrascka qui a su diriger de main de maitre ce grand ensemble.

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Au final, ce 25éme festival n’usurpa point son titre et su malgré les aléas météorologiques et logistiques tenir toutes ses promesses à savoir nous faire découvrir une musique hors des normes, hors des convenances, hors du temps et des modes. Une musique libre qui n’a juste pour vocation que de combler nos désirs les plus fous. Alors merci et vivement l’année prochaine !


Chronique et Photos par DRBOU - drbou@voila.fr