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LEAU - Aime-moi - CD Travelling Music

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Ça se présente donc comme ça, avec cette photo – superbe, et de plus en plus en réalité à mesure qu’on la regarde mieux et plus longtemps – d’une course d’enfant le long d’une plage, et il y a écrit LEAU, comme ça, en capitales, comme l’élément liquide mais tout attaché. Plus tard, à un certain moment, on imaginera un accent sur le E – on ne met pas toujours les accents sur les capitales – comme pour prononcer « léo », mais non. À la première écoute, distraite, on n’aimera guère, trop flou, indistinct, effacé, uniforme. Puis on pensera, tout de même, qu’on préférerait aimer ce qu’il y a derrière cette photo et cet enfant et ces quatre lettres LEAU ; qu’il y avait quelque chose de délibéré dans ces instrumentations et cette élocution voilée, tout sauf de la maladresse. On songe à Monet et Debussy et à une nouvelle tentative, versant musique pop, d’embrasser le liquide. On écoute encore, distraitement toujours, c’est-à-dire en faisant autre chose que seulement écouter, et au bout de quelques plages et au milieu de ce quelque chose d’autre il semble qu’on commence à s’attacher à cette musique. Au point où nous en sommes, faisons un peu le chroniqueur afin de fixer brièvement des idées qui ne demandent qu’à dériver, ce qu’elles auront tout loisir de faire ensuite : pendant la première moitié de l’album on peut penser aux Têtes Raides (Aime-moi), à Blankass (Ta peau de lait), à Manset plusieurs fois et même à Brassens, celui naturellement de La supplique pour être enterré sur la plage de Sète, de façon anecdotique sur les accords initiaux du pyjama. Plus qu’une simpliste tentative de donner le cadre du disque, si on parle de tout ça c’est surtout pour souligner que toutes ces choses différentes réussissent ici à se ressembler, à la façon des pierres ou des plantes au fond d’une rivière, quand le regard les considère à travers le filtre de l’onde. Ainsi, on pourrait sans doute, au casque et en tendant l’oreille et en faisant de multiples pauses, comprendre exactement les paroles de La dresseuse de caiman ou Daocheng, mais l’essentiel est justement dans ce qui nous les masque, dans ce qui sourd de cette prosodie doucement accordée au spectre musical étroit et réverbéré, cet espace invisible et insaisissable et qui se manifeste pourtant entre les chansons et nous qui les observons depuis la surface, de l’autre côté de la photo le long de la plage.
Plage 9, c’est amusant, on commence par entendre « ça doit être bien d’être vieux », avant de finir par comprendre, vers la fin de la chanson, « ça doit être grand d’être dieu / et de ne pas en douter ». C’est peut-être qu’au début du doute de dieu on se disait qu’on pensait avoir compris le procédé, on se demandait ce qui allait se passer maintenant, avant de rentrer tout simplement dans l’approfondissement du sortilège et de l’alchimie, trois ballades ou comptines de plus en plus enveloppantes, du reste que pouvait-il se passer que toujours la même chose toujours différente ? Cet agencement réinventé des guitares, mélodica, carillon et voix, cette estompe tremblée à laquelle on ne se lasse plus d’assister, comme les reflets de lumière toujours identiques, mobiles et différents qui courent sur la surface de la mer et nous la rendent visible.
On ne s’est peut-être pas rendu compte alors qu’on nageait entre deux eaux, c’est qu’on respirait plus qu’à notre aise grâce aux larges secondes de silence ménagées à la fin de chaque morceau, et pendant Verdon quelques bulles sonores semblent remonter de la profondeur sans jamais nous atteindre avant que l’instrumentation s’élargisse enfin, nous suggérant le seuil d’un autre espace, où LEAU, peut-être, nous a précédé ; où nous sommes entrés avec lui ; que nous regardons peut-être au côté de cet enfant qui courait si vite, que pourtant nous avons réussi à arrêter, pour qu’il nous dise, peut-être, s’il fuyait quelque chose ou voulait en rattraper une autre.

Myspace / Site web du Label

Philippe VIDALphvl@free.fr