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BERTRAND BETSCH - J'ai horreur de l'amour

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Genre : Chanson pop
Date de sortie : 22/04/2022
Format de sortie : CD et numérique
Label : Microcultures Records
Distribution : Kuroneko


Après avoir publié trois albums autour du thème de la résilience et alors qu’on le croyait sauvé des eaux, Bertrand Betsch a décidé d’entamer la nouvelle décade en lâchant les chiens. C’est-à-dire en se confrontant aux fins dernières. Qui ne se frotte à sa perte, au néant, à la dislocation de l’âme et de la chair, en un mot, à la mort, ne peut connaître et circonscrire le champ de l’existence. Seuls les grands mélancoliques savent embrasser et prendre en charge le Destin, y compris dans ses funestes ressorts.
C’est donc au cours d’une rafale mélancolique que le nouvel album a surgi. Les deux premières phrases de la chanson d’ouverture lui ont sauvé la mise : « La vie est un poème / Qui ne dit jamais je t’aime ». Une fois ces deux lignes posées, les morceaux suivants sont venus d’un jet, facilement, comme une délivrance, comme un accouchement sans douleur, un flot humide et chaud. Un limon de poésie noire certes mais une poésie quand même, un agencement jouissif de mots et de mélodies arrachés au désespoir. Plus tard la violoniste Salomé Perlé a instillé ses lignes harmoniques et ses coups d’archets qui sont autant de coups de grâce.
Fort de cette expérience des limbes, Betsch s’est rapproché du laboratoire Mylan, grand pourvoyeur d’anti- épresseurs et de neuroleptiques devant l’Éternel. C’est ainsi que la firme pharmaceutique internationale a pris Betsch à son service en tant que publiciste, lui rapportant ainsi de quoi financer son album. C’est en effet à Bertrand Betsch que le laboratoire Mylan doit certains de ses slogans les plus efficaces concernant son plus fameux antidépresseur : Effexor c’est fort Effexor j’adore - Avec Effexor je ne crains plus ni la vie ni la mort.

Nous voilà donc à l’arrivée en possession de neuf chansons anthracites, allant de l’humour noir désopilant de Détruire dit-elle (À SOS détresse ils m’ont dit no stress, À SOS suicide ça sonnait dans le vide, À SOS amitié ils m’ont envoyé chier…) au geste radical de Deadline, en passant par quelques tirades bien senties sur la tendresse cachée des hommes (L’aorte), des jeux de mots potaches sur l’amour et la violence qu’il revêt parfois (Ultra-violet), les belles lignes compassionnelles du poignant Fontaine, la fragilité rugueuse de Tout doit disparaître, la techno dépressive de En dessous ou encore les versets collapsologiques de La der des ders.

Mais Betsch n’est pas du genre à se complaire dans un chagrin narcissique, et ce qu’il donne à entendre n’est rien d’autre que l’écho du chagrin du monde dans son ensemble. On n’est jamais seul, ou plutôt on est nombreux à être seuls. Puisque comme l’a chanté Souchon : « Tout le monde vit séparé du monde entier ». À cet égard, Betsch ne serait-il finalement pas une sorte d’Alain Souchon trash et décrassé de toute tentative de séduction ? Comme il le dit dans Tout doit disparaître : « J’ai en moi cette colère / Et la soif de déplaire. »

On peut reprocher bien des choses à Betsch, sauf de choisir les sentiers balisés de la facilité et de nous caresser dans le sens du poil. Qu’on se le dise, B/B/ n’a jamais été et ne sera jamais un chanteur de charmes. De facto, c’est plutôt un chanteur de drames.
Si l’on admet que l’humanité court à sa perte, ne peut-on pas soupçonner que cette dérive trouve sa source dans une crise profonde et ontologique de l’homo sapiens. Cet amour dont l’homme est censé être doté n’a-t-il pas muté en une haine sourde de ce qui le fonde ? Qu’il nous soit permis de penser que derrière le titre de cet album point une sorte de constat désolé. Ne faut-il pas lire : J’ai horreur de cet amour que vous avez dévoyé, de cet amour de l’humanité que vous avez transformé en un vaste charnier ? Dieu est mort, peut-être, mais l’homme lui emboite le pas.

Il nous reste à nous abandonner au bonheur de ces mélodies émouvantes et de la déchirure saine et vigoureuse de certains riffs de guitares saturées qui lézardent cet opus qui est tout sauf un album de plus.


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